Retrouvez l’actualité des littératures de l’imaginaire (Science-Fiction, Fantastique, Fantasy, et autre) ainsi que des interviews de celles et ceux qui les construisent.

Interview de Morgane Stankiewiez

Durant le festival Imajn’ère, j’ai pu rencontrer Morgane Stankiewiez dont vient de paraître aux éditions Goater Les Amitiés Fantômes. Durant notre échange, nous avons pu abordé la fin des éditions Noir d’Absinthe mais aussi Nous parlons depuis les ténèbres.

L’occasion d’échanger avec l’autrice sur les thématiques du roman !

Vous pouvez aussi retrouver l’interview sur Spotify

Ou plus simplement lire la retranscription 🙂

Bonjour Morgane.

Salut Allan.

Donc on se voit beaucoup en ce moment parce qu’après Ouest Hurlant t’es aujourd’hui à Imaginaire. T’aimes bien les festivals ?

Oui, après ça va un peu se calmer parce que là j’étais Rennes pendant des années et j’ai encore les engagements sur l’ouest mais maintenant que j’habite à Montpellier je vais un peu moins monter. Donc c’est une bonne occasion parce que là on ne va pas se repenser.

Avant de parler des Amitiés Fantômes qui viennent de paraitre sur Goater, je voulais faire un petit échange autour de Noir D’Absinthe. Noir d’Absinthe s’est arrêtée, qu’est-ce qui a motivé cette décision ?

On a dirigé la maison d’édition Noir d’Absinthe pendant 6 ans, maison d’édition spécialisée en imaginaire sombre, principalement, on faisait un peu autre chose aussi sur la fin, et c’est une entreprise culturelle que j’ai gérée pratiquement seule toutes ces années, et sans rémunération. Donc, il y a un moment donné, tenir une entreprise sans être rémunérée, ce n’est juste pas possible. Et tout ça, c’est lié à des choix que j’ai faits, parce que j’ai fait des choix qui étaient toujours pour le cœur, pour l’art, avec une exigence finalement littéraire très forte, et du coup, de la littérature un peu de niche. Ce qui veut dire que je n’ai jamais choisi de faire des textes pouvait vendre mais des textes que je pensais qualitatifs et qui méritaient une visibilité, des textes qui étaient aussi assez chers parce que j’investissais sur les couvertures, j’investissais financièrement sur le livre, ce qui fait qu’en termes de rentabilité, c’était un peu compliqué malgré les subventions, malgré tout ça. Donc à un moment donné, voilà, c’est devenu un peu plus compliqué, ma rémunération, sur mon départ, ça a bien baissé. Et l’énergie aussi investie dans le projet. Moi, je suis artiste avant tout. L’éditrice, ça me plaisait beaucoup, mais je suis vraiment une créatrice avant quoi que ce soit.

Donc, pour toutes ces raisons, je me suis dit, allez, là, ça tient encore, mais je préfère arrêter à un moment où c’est ok plutôt que de me retrouver finalement en burn-out et vraiment à un point compliqué. Donc voilà, c’était le meilleur moment pour arrêter parce qu’il faut savoir aussi bien soigner ses entrées que ses sorties.

D’accord, donc c’est vrai que le catalogue était différent, c’était… vous faites d’art différent, donc aujourd’hui on sait à peu près les auteurs, autrices ont réussi à atterrir pour certains, certaines ?
Oui, en tout cas on a créé des carrières, on a lancé des carrières, il y a des autrices et des auteurs dont le nom maintenant est connu dans le milieu et qui vont pouvoir, si ce n’est replacer leurs anciens titres, j’espère quand même pour la plupart, au moins continuer leur carrière, continuer de publier et d’avoir accès à d’autres éditeurs. Donc ça c’est déjà le plus important, c’est que les noms, une fois qu’ils sont lancés, ils sont lancés. Et Noir d’Absinthe avait quand même une image très qualitative dans le milieu et donc les personnes qui ont publié chez nous, c’est un… ça reste une très bonne première expérience pour pouvoir continuer plus tard. Donc je pense que vraiment le travail est fait à ce niveau-là parce que c’était le plus important de construire des réputations et la réputation Noir d’Absinthe, je pense qu’elle n’a pas continué pendant un temps, peut-être pendant longtemps, à marquer et à aider les personnes qu’on a pu lancer.

D’accord, maintenant parlons de ta sortie, Les Amitiés Fantômes, donc c’est publié aux éditions du Goater. Comment ça s’est passé ?

J’ai connu les éditions Goater par le biais de Saul Pandelakis aux Utopiales en 2021. C’est un des premiers auteurs d’imaginaire qu’ils ont vraiment lancé. Au début, c’était la maison d’édition à 15 ans, mais ce n’était pas une maison tant que ça estampillée imaginaire, ce qui change aujourd’hui. C’est le premier contact que j’ai pu avoir.

Après, j’ai rencontré Jean-Marie dans le cadre du travail en étant maison d’édition Rennaise et le contact est plutôt bien passé. Et puis il y a eu ce moment où Estelle Faye et Floriane Soulas ont lancé l’anthologie Nous parlons depuis les ténèbres qui est une anthologie d’horreur aux féminins avec une dizainen d’autrice française d’horreur. Et du coup voilà, un genre qui est très compliqué à vendre et à placer. Donc des nouvelles compliquées, horreur très compliquée, horreur féminine. Mais qui fait ça ? Qui fait ça ? Jean-Marie Goater. Et il l’a signé un peu pour la beauté de l’art, parce qu’il n’y a pas de la beauté du geste. Et finalement, c’est un livre qui a très bien fonctionné, qui a été très bien diffusé. Et on a commencé à travailler comme ça avec Jean-Marie du côté autrice et éditeur.

Et je lui ai replacé, je lui ai reproposé mon livre Les amitiés fantômes il y a un peu plus d’un an, avant l’Ouest-Hurlant 2023, et ça lui a beaucoup plu. Donc c’est comme ça que le lien s’est fait petit à petit.

Et du coup, dans Les Amitiés Fantômes, on voit le deuil de Nora. Alors, qui est Nora ?

Alors oui, c’est ça, Les Amitiés Fantômes, c’est un livre sur le deuil. Nora est une jeune femme, comme beaucoup en région parisienne, qui a une fibre artistique, qui a de la créativité, qui a des choses à dire, et qui a dû l’étouffer sous le travail, sous le poids des responsabilités, en fait, qui est rentrée quelque part dans le moule, un peu malgré elle. Et donc on la retrouve à ce moment-là, qui est surchargée par le travail, qui est aussi dans le milieu artistique, mais pas complètement. Il y a cette nuance où elle arrive aussi en burn-out, quelque chose, voilà, j’en parlais tout à l’heure, où finalement je m’en suis approchée, je m’en suis éloignée, donc il y a ce parallèle qui est fait.

Et Nora perd sa meilleure amie au tout début du livre. C’est même la première phrase. C’est le chapitre 1, il fait une phrase. On a compris. Et ça va faire ce choc qui va lui faire poser les questions. Ok, où est ma vie maintenant ? Qu’est-ce que j’ai vécu ? Là, j’ai perdu quelque chose de cher que je n’ai pas su entretenir suffisamment. Je me suis détaché à la fois de mon amitié, de mes relations, de moi-même. Qu’est-ce que je fais maintenant que je suis au fond du gouffre et que je me rends compte que mon existence ne correspond pas à ce que je voulais ?

Et ce qui est surprenant dans le récit, c’est qu’on a quatrième de couverture qui parle de ces dix choses à faire, mais finalement ça arrive tardivement. Ce qu’on voit, ce que j’ai perçu dans la première partie, c’est la reconstruction de cette amitié, le flashback sur toute cette amitié, et notamment sur les difficultés, les échecs, Tu voulais remettre en avant que cette amitié eût peut-être été un peu… qu’ils avaient dû se dépasser pour la maintenir ?

C’est un peu ça. En fait, le pitch du livre, c’est après le deuil du coup de sa meilleure amie, elle retrouve une liste de choses qu’elle avait écrites à l’adolescence, des défis à faire. Et le projet à la base s’appelait « 10 choses à faire après la mort ». Donc c’était bien centré sur la liste. Et en fait, l’éditeur m’a dit, mais là, on attend trop cette liste. Finalement, en plus, il n’y a pas dix épreuves dans mon texte parce que ça aurait fait beaucoup, ça aurait été lourd. Et donc, il y avait cette attente que ça créait, que ça centrait sur… Parce que quand elle réalise un défi de la liste, Sa meilleure amie revient d’entre les morts. Je ne vais pas parler de surnaturel, on ne sait pas, ce n’est pas important. Mais le temps du défi, du coup, ça fait que le deuil, quelque part, elle peut le refaire entièrement avec son amie, mais on sait qu’il y a une limite, il y a un certain nombre de défis. Et donc je ne voulais pas que ce soit, c’est même pas que je voulais pas, c’est qu’au final dans l’écriture ça n’a pas été au centre, c’est un prétexte pour créer du lien et pour retracer tout le lien parce que le récit se passe sur deux espaces temps, il y a le deuil et puis du

Il fait ressortir toute la relation, parce qu’on ne peut pas parler d’une relation qui s’arrête sans parler des débuts de la relation, sans parler de l’histoire de la relation. Du coup, de toutes les difficultés qu’elles ont, toutes les difficultés, toutes les beautés qu’elles ont eues, adolescentes. Et donc, finalement, l’œuvre retrace toute leur vie en faisant des allers-retours entre le présent, le passé. Pourquoi est-ce qu’il y a un deuil ? Pourquoi est-ce que la relation était si importante ? Parce qu’il y a tout ce vécu derrière et donc il fallait, c’est un bail qui fallait, c’est que tout est ressorti en fait dans l’écriture. Tout est fait naturellement, je n’ai jamais d’intention, je vais faire ci, je vais faire ça, non. Ça vient comme ça doit venir en fait, c’est aussi la magie de la création et de l’écriture.

Et ce qu’on ressent aussi du côté de Nora et pas du tout du côté d’Ivy du coup, c’est le poids familial puisque finalement Ivy est relativement libre par rapport à ses choix de vie et même ses expériences là où Nora est complètement contrainte. Ce sont des choses que tu as ressenties toi-même personnellement ?

C’est plutôt l’inverse, moi j’ai plutôt une famille où c’est très libéré, j’ai des amis où c’est pas le cas, et je veux pas non plus parler de moi dans les textes, donc il y a de moi, mais en même temps c’est pas que moi, je suis entre tous les personnages, c’est un peu comme dans un rêve en fait, je suis le personnage narrateur qui dit je, et les autres ne sont pas moi, c’est finalement tout le monde à prendre ma psyché, il y a un partage qui est perpétuel. Et d’ailleurs, on a aussi ce point de vue de l’héroïne qui perçoit son propre poids familial, mais qui ne se rend pas forcément compte à quel point c’est vrai pour les autres. Et Ivy, on le voit au moment de l’enterrement, sa famille impose des choses qui ne ressemblent pas non plus à Ivy.

C’est une douleur pour Nora. qu’est-ce que je transmets par là c’est que oui Nora perçoit son amie comme un espace de liberté pure mais c’est pas si vrai que ça c’est au plus contradictoire et finalement on a aussi sa vision biaisée de de l’autre, comme on a toujours une vision biaisée des autres en fait, on projette toujours quelque part un peu nous dans les relations et là on voit ça avec Nora, donc là c’est pas quelque chose que j’ai explicité dans le texte mais Ivy aussi a ses contraintes, finalement son moule dans lequel elle rentre Et c’est Nora qui l’imagine totalement libre, mais même au tout début du texte, on apprend qu’elle va peut-être se marier, mais qu’elle doute et que finalement elle est rentrée dans des relations qui sont très classiques.

Est-ce que ça lui correspond vraiment ? Non, il y a tout ce sous-texte qui ressort à Ivy beaucoup plus complexe que le regard de Nora le permet de le considérer. Mais comme on a le regard de Nora, on a une vision un peu fausse, un peu fantasmée d’Ivy. Surtout qu’après, quand elle revient d’entre les morts, est-ce qu’elle revient vraiment ? Est-ce que c’est la psyché de Nora qui la reconstruit ? Est-ce qu’un fantôme, ce sont des émotions qui sont restées ? Mais est-ce que c’est vraiment sa personnalité ou pas ? Est-ce que c’est toute une nuance finalement ? Est-ce qu’on n’a pas 36 personnalités selon les personnes avec qui on interagit ? Est-ce qu’on ce qu’on est aussi plein de choses selon les personnes qui nous perçoivent toutes ces notions-là sont sous-entendues et c’est encore une fois c’est pas une volonté c’est pas une intention que j’ai mis c’est juste que dans les relations c’est toujours cette complexité et elle ressort dans le texte et c’est important que ça ressorte dans les textes toute cette nuance.

Et j’ai trouvé que c’était une vraie ode à l’amitié et à l’amour aussi Et dans le même temps j’ai ressenti que finalement cette disparition d’Ivy était le point peut être nécessaire pour Nora pour vivre sa propre vie.

C’est un peu ça finalement, elle est dans l’ombre de son amie pendant très longtemps et quand son amie disparaît, elle se pose vraiment la question, et moi maintenant ? Et donc c’est très dur de se poser ces questions-là, on passe par vraiment la phase de dépression, la phase de… il n’y a plus rien, comment est-ce que dès lors on retrouve sa propre flamme au creux de la nuit ? Il y a une expression qui vient de  l’anglais c’est la nuit noire de l’âme, à ce sujet. Et c’est vraiment ce que traverse Nora, et comment est-ce qu’on peut ressortir, parce qu’en fait il n’y a que deux issues pour ressortir de ça, soit on ressort par la vie, par une flamme renouvelée, soit on ressort par la mort. Et c’est toute l’ambivalence, le fil sur lequel repose Nora. Et effectivement, même moi je ne tranche pas complètement, parce que je ne vais pas aller spoiler sur la fin du livre, mais qu’est-ce que fait Nora après la fin du livre ? On ne sait pas. Est-ce qu’elle vit vraiment ? Est-ce qu’elle ne le vit pas ? Toute cette notion… Voilà, c’est toute la complexité de la relation parce qu’on est bâti par rapport à nos relations aussi. Sans ça, qu’est-ce qu’est Nora, comme nous ? Qu’est-ce qu’on est sans nos relations qui sont importantes ?

Et pour parler un peu de la suite, pas de la suite du roman, mais de la suite pour toi. J’ai pu comprendre que la poésie était quelque chose dans lequel tu t’éclatais pas mal.

Les Amitiés fantômes, c’est un texte qui est vraiment passerelle pour moi dans mon art. C’est que pendant longtemps, j’ai mélangé des genres littéraires. Les Amitiés fantômes, pour moi, il est de genre, je ne peux pas dire que c’est du fantastique, je peux pas dire que ça n’en est pas, je peux vraiment pas mettre d’étiquette dessus. Il y a toute une part poétique, notamment dans la seconde partie du texte où il y a du voyage, et la poésie en prose prend beaucoup de place. Et le roman suivant que j’ai écrit est un roman entièrement poétique, pour le coup, c’est vraiment… on s’éloigne complètement des genres dans lesquels j’ai pu être par le passé et j’écris aussi beaucoup de poésie aujourd’hui et je vais la déclamer. Donc en fait ce texte qui reste un roman, et d’ailleurs la poésie est importante, il y a beaucoup de références à Baudelaire et à la poésie dans le texte, a fait pour moi une passerelle vers mon identité d’autrice. Et c’est vrai que jusqu’au moment où j’écris Les Amitiés Fantômes, je me définissais plutôt comme romancière. Aujourd’hui, je me définis comme poétesse. Je suis toujours romancière. Mais la poésie, qui n’est pas seulement faire des vers et faire des poèmes, c’est beaucoup plus éclaté que ça, fait vraiment partie intégrante, non seulement de ma vie, mais de mon identité.

Est-ce que tu veux dire un mot de conclusion ?

Merci à toi. Et là, je pense que le texte, déjà, pour les personnes qui m’ont suivi, les personnes qui me découvrent, il y en a beaucoup qui trouvent le texte parce qu’elles ont lu ma nouvelle d’horreur dans Nous parlons depuis les ténèbres, qui est une nouvelle très trash, qui n’a absolument rien à voir. Donc, c’est vraiment très chouette de voir des personnes qui vont finalement s’ouvrir sur des genres complètement différents, explorer ces différentes parts de ma plume. Et j’espère aussi que ces personnes pourront, par la suite, continuer de découvrir, que ce soit par la poésie que je suis en train d’écrire, pour laquelle je cherche encore de la publication, parce que c’est encore un autre monde, ça reste compliqué. Et c’est vrai qu’aujourd’hui, ça va beaucoup se faire par le spectacle. J’ai aussi un spectacle que j’ai préparé avec une amie harpiste. Donc un roman, cette fois, qui est adapté sur une heure et demie en salle. En fait, on a fait une résidence artistique de deux semaines en février. C’était passionnant sur le thème de la poétesse, Greg Safo. Et donc là, c’est un spectacle que j’aimerais bien pouvoir proposer avec mon ami dans des salles.

On l’a fait dans un petit théâtre la première fois, c’est parfait. On sort encore plus du pur objet livre pour renouer avec l’oralité du texte et ça c’est quelque chose qui m’a toujours été cher de trouver la musique du texte et finalement aujourd’hui je vais rechercher l’oralité directe, le rapport avec le public, l’échange que la poésie et ce genre de spectacle permettent. Voilà, c’est vraiment ce que je vais chercher à faire aujourd’hui, ce que je vais développer. Merci beaucoup. Merci à toi.


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